La crise du COVID-19 est une crise du capitalisme néolibéral aussi bien dans ses origines que dans ses manifestations. L’accélération de la mondialisation des échanges, dont un élément central a été l’entrée de la Chine a l’OMC, a produit une vélocité dans la circulation des biens et services mais aussi des virus que l’on n’a pas bien estimé. Lorsque cette crise apparaît, beaucoup ont établi un parallèle avec le SRAS de 2003, en en déduisant une manifestation assez localisée, alors que depuis lors les échanges de la Chine avec le monde avaient explosé.
La manifestion de la crise fait aussi apparaître comment les Etats qui ont réussi une « demarchandisation »des services sociaux, pour reprendre le terme du sociologue danois Gosta Esping Anderson dans sa typologie des modèles d’Etat providence, résistent mieux à la pandémie. Ainsi, dans le contexte occidental. la crise est donc un test sur leur modèle d’Etat Providence, et par conséquent leur type de capitalisme, avec des ravages sur ceux qui ont opté pour la variante néolibérale alors que les social démocraties semblent mieux résister.
La conséquence qui est découle est donc une impérieuse nécessité de repenser le capitalisme, depuis le tournant dangereux qu’il a pris sous l’ère Reagan Thatcher, car contrairement a ce que prétendait la dernière avec son fameux TINA, il y a une alternative. Le capitalisme dans sa version néolibérale est d’ailleurs responsable de la montée des populismes et des nationalismes qui marquait le monde d’avant COVID-19.
En affaiblissant l’Etat en organisant son retrait, pour reprendre Susan Strange, il est venu fragiliser les trois clotures qui formaient un dispositif de protection pour le citoyen, et qui ont tout au long de l’evolution de l’Etat constitué ses éléments de légitimation et ses espaces de déploiement. La cloture identitaire qui apparait avec l’Etat nation et qui consistait a la protection d’une identité nationale que la mondialisation menace à travers l’uniformisation qu’elle promeut. La clôture économique qui se renforce avec le mercantilisme et qui consistait à protéger les opportunités économiques et commerciales par des mécanismes comme les tarifs douaniers que l’idéologie du libre échange, cheval de bataille du néolibéralisme, a sérieusement remis en question.
Enfin la clôture sociale avec l’apparition de l’Etat providence qui consacre une citoyenneté sociale conférant une protection sociale, que le néolibéralisme a fini de marchandiser dans bien des cas. La crise du COVID-19 doit donc être placée dans une continuité de toutes les crises produites par l’ordre néolibéral, et le monde d’après ne devrait pas juste se contenter, pour reprendre Robert Cox, a une logique de « problem solving » mais à une démarche critique qui remet en cause les fondements même de la pensée néolibérale qui a fini de déifier le capital au détriment de l’humain et de consacrer la toute puissance du marché face à l’Etat.
La plus grande crise dans toute crise c’est celle de la bataille de perception. Les différents modèles de pensée se battent en effet pour construire une perception dominante de la crise, un cadre cognitif qui faconnera sa compréhension et imposera par ricochet les pistes de sortie et les éléments devant fonder la construction de l’ordre d’après crise.
Les tenants de l’ordre néolibéral s’y sont déjà mis, allumant des écrans de fumée pour qu’on aille voir ailleurs.
A cela s’ajoute ce que Gramsci identifiait comme la force du capitalisme qui est sa capacité à créer non pas juste de la coercition mais surtout du consentement, tenant ainsi ses principales victimes dans une sorte de syndrome de Stockholm qui assure sa perennite.
Le monde d’après devra rebrousser chemin. Espérons que comme Polanyi semblait l’eriger en régularité historique, après les divagations dangereuses du marché, l’Etat reprendra sa place, non pas dans le sens des États nations fermees dans des clôtures identitaires presque westphaliennes, mais plutôt comme créatrice d’égalité et source de protection sociale d’un citoyen qui, s’il ne l’est pas, perd foi en la démocratie, et peut être même en la fraternité humaine.
Cette citoyenneté nationale dénuée de tout penchant nationaliste est elle même la condition essentielle d’une citoyenneté universelle et la pierre angulaire d’un nouvel ordre international qui fait de l’humain son moyen et sa finalité.