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LES MOURIDES SONT-ILS EXPLOITÉS PAR LEURS MARABOUTS ? [Par A. Aziz Mbacké Majalis]

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Le récent et intéressant reportage du journal Le Monde sur les « réseaux économiques » mourides (voir le lien de l’article plus loin) me rappelle un échange assez instructif que j’eus dans le passé avec Michael Richard, le réalisateur du fameux reportage de M6 sur les « vendeurs à la sauvette mourides » qui avait défrayé la chronique en son temps.

A ses multiples questions détournées sur l’usage du « hadiya » (don pieux) aux chefs religieux, qu’il n’osait formuler assez ouvertement, de peur certainement de froisser le « marabout » avec qui il discutait, je le surpris en posant assez brutalement le sujet en ces termes.

  • Cher ami, la véritable question que vous semblez vouloir poser, et que beaucoup d’autres chercheurs, journalistes etc. avant vous se sont posés, est celle-ci : ce système des dons offerts aux marabouts n’est-il pas en définitive « un système d’exploitation de l’homme par l’homme » ? Un système qui permet aux marabouts mourides de profiter de la « crédulité » de leurs disciples (à travers des promesses spirituelles fallacieuses) pour s’enrichir impunément sur leur dos (comme le suggère, par exemple, Copans qui soutenait dans ses recherches sur le Mouridisme, que « le capital du marabout, c’est le talibé ») ? C’est bien cela ?

Michael sembla à la fois embarrassé et soulagé par cette tournure franche et sans fard que prenait notre discussion.

  • Eh bien, pour répondre à cette « grave » question, je vais vous en poser, à mon tour, une autre qui, bien analysée, devrait vous fournir certains éléments d’analyse que ceux qui se la posent de façon critique ne semblent pas souvent intégrer, à mon avis.

Michael sembla acquiescer à cette éventualité avec un certain intérêt.

  • Vous n’êtes certainement pas sans savoir que la plupart des premiers mourides appartenaient historiquement aux classes considérées comme les plus défavorisées de la société wolof. Humbles paysans des provinces (rurales) du Baol et du Cayor, ils étaient assez souvent méprisés et tenus pour de frustes « campagnards » (kaw-kaw) par d’autres groupes plus nantis (surtout citadins) se considérant plus « civilisés » et plus instruits. Ceci, au point d’avaliser le perfide adage d’antan voulant que « Lu jigéen bon bon war a mën a jur ab murid mbaa ab nama dal » (Le minimum qu’une femme, aussi indigne soit-elle, puisse mettre au monde est un enfant qui deviendra un docker ou un mouride…).

Ainsi la question qu’il convient aujourd’hui de se poser, au vu de cette situation passée, est celle-ci : s’il était vrai que ces modestes disciples mourides étaient victimes de l’exploitation financière de leurs marabouts (plus que dans les autres communautés religieuses du pays) comme l’ont toujours soutenu la majorité des auteurs, comment se faisait-il que ces mêmes disciples soient aujourd’hui parmi les citoyens les plus nantis du pays et soient parvenus au sommet de l’échelle socio-économique sénégalaise ? Sachant qu’ils étaient, dans le passé, au bas de cette même échelle et parmi les citoyens les plus humbles de la société, car considérés comme des citoyens de seconde zone ? Comment, en d’autres termes, l’ « exploitation financière » de ces modestes disciples a-t-elle pu les rendre plus riches et plus représentatifs que beaucoup de leurs concitoyens n’ayant pas subi cette « exploitation » ?

Essayer de répondre objectivement à cette question, en mettant en perspective d’autres dynamiques spirituelles, culturelles, anthropologiques etc., nous permettra peut-être d’y voir un peu plus clair et de faire avancer le débat…

Michael Richard, qui ne s’attendait sûrement pas à cette repartie, sembla effectivement perplexe et ne put jamais y donner des réponses assez satisfaisantes…

Pour la petite histoire, lorsque je racontai cette amusante anecdote à l’occasion d’un Dahira aux Etats-Unis, un condisciple mouride plein d’humour ne put s’empêcher de s’exclamer publiquement, provoquant l’hilarité générale : « En tous cas, exploitation bi deh jigg na niou ! Yàlla nan niou yagga exploiter nii waay ! » (Dieu fasse que nous continuons à être exploités de la sorte !)

[Pour les autres dimensions de cette problématique, notamment certaines dérives réelles, récupérations mercantiles ou nécessités de rationalisation des ressources mourides, nous les avons largement abordées dans KHIDMA]

Voici le lien du récent reportage du journal Le Monde sur les mourides cité plus haut : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/16/au-senegal-les-reseaux-tres-prosperes-de-la-confrerie-mouride_4832986_3212.html

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