Cet ouvrage à la mesure multidimensionnelle que l’éminent Pr Cheikh Ahmed Bamba Diagne nous propose est un joyau du savoir à la valeur intellectuelle insondable.
La Vision Économique du Mouridisme dans l’Histoire de la Pensée Économique (LVEMHPE) est un vaste plateau d’informations et de démonstrations pertinentes, objectives et logiques qui se veut de proposer une réflexion soutenue mais surtout décomplexée sur une vision dont les Hommes gagneraient à connaitre et les sociétés à exploiter
LVEMHPE, c’est 209 pages qui nous tiennent en haleine et qui nous convient à la découverte d’une « vision » ou encore d’une théorie économique mais aussi sociale, jusqu’à présent mollement exploitée mais qui pourrait participer massivement à la résolution de problématiques socio-économiques contemporaines dont nous ne pourrions imaginer l’étendue des impacts.
Dès l’introduction qui nous donne un avant-gout fascinant, l’auteur nous invite directement dans le vif du sujet en posant des bases nécessaires à la compréhension ultérieure des spécificités et caractéristiques de cette vision économique d’alternative mise à l’honneur dans l’ouvrage.
Il annonce ici l’exploitation d’éléments descriptifs factuels sur les manières et façons employées par la communauté Mouride afin de mettre en place l’ensemble des éléments nécessaire à la mise en œuvre de sa politique économique mais aussi socio- culturelle et comment au-delà de ce « take off », elle a su la crédibiliser, la légitimer.
La première partie de ce grand ouvrage, l’auteur la consacre à l’histoire de la pensée économique en général, celle que nous connaissons à peu près tous ou en tout cas avons déjà entendu dans les amphithéâtres universitaires.
Cette partie est divisée en 9 chapitres à raison d’une théorie par chapitre.
L’auteur nous présente à tour de rôle, les différentes doctrines économiques en commençant par le Mercantilisme jusqu’au Monétarisme en passant par la Physiocratie, Les Classiques, le Marxisme, le Marginalisme parmi tant d’autres.
Si l’on prend à titre d’exemple le mercantilisme, théorie par laquelle l’auteur débute sont « listing », il nous fait comprendre qu’elle
Il nous explique que le mercantilisme est à la fois une doctrine et une politique économique mise en place entre le 16e et le 18e siècle influencé par la Réforme et la
Renaissance et que ce courant est marqué par la séparation progressive du pouvoir politique et de l’Eglise, et par une nouvelle façon d’appréhender la richesse.
L’auteur soutient que la pensée mercantiliste varie en fonction des pays et des auteurs, mais l’objectif est toujours d’enrichir le souverain et que la richesse étant vue essentiellement sous sa forme monétaire, les Etats tentent donc d’accumuler un maximum d’or. Un des moyens recommandés pour cela nous explique-t-il est le commerce extérieur.
Enfin, Dr Daigne nous fait comprendre que les auteurs mercantilistes pensent que l’Etat doit intervenir dans l’économie, par exemple en réglementant la production, en interdisant les importations ou en attribuant des monopoles.
La modeste apprentie économiste que je suis a souhaiter s’appuyer sur ce « cours » magistral du professeur Diagne pour « creuser » des points de comparaisons et d’oppositions (embryonnaires) entre quelques-unes de ces théories économiques
« traditionnelles » et celle visionnaire du Mouridisme.
Le Mercantilisme vs Le Mouridisme Économique
Si l’on veut tenter de situer des points d’oppositions entre le mercantilisme et ce que j’appellerais le « Mouridisme Économique », l’on pourrait s’appuyer sur plusieurs points saillant clairement énoncés par l’auteur.
Cependant, si l’on devait porter un choix sur un seul point de comparaison, je choisirais celui de l’objectif final.
• L’objectif final
Dr Diagne nous fait comprendre que chez les mercantilistes, l’objectif final est d’accroitre la richesse du souverain en termes de ressources monétaires. À contrario, il nous démontre que chez les mourides, l’objectif visé est primordialement l’optimisation des capacités de la communauté à travers trois branches :
❖ La Détermination ou Volonté créatrice (Himma) ;
❖ La Répartition équitable des ressources à savoir la capacité
pour le plus favorisé à partager sa richesse avec les plus
nécessiteux (Hadiya) ;
❖ L’Utilisation du Hadiya comme objet de base dans le cadre du
service rendu à la communauté (Khidma).
Si j’essayais d’apporter un léger approfondissement ici, je dirais que nous pourions appeler par « CYCLE DU JËF JËL », la mise en adéquation de ces trois points.
En effet, je parle de cycle car ce « service rendu à la communauté » ou encore
« Khidma » dans son essence même, contribuerait fortement à amplifier l’élan de la volonté créatrice.

Le Mouridisme Économique : Une réappropriation identitaire de concepts
Outre l’exemple précédant portant sur le Mercantilisme, l’ensembles des théories énoncées dans l’ouvrage pourraient être également soumis à des tentatives de comparaisons vis-à-vis du Mouridisme Économique.
Dans le chapitre consacré au Marginalisme ou l’auteur nous explique les spécificités de la notion « d’utilité marginale » par exemple, l’interrogation suivante pourrait nourrir une base solide de réflexion quant à la possible réappropriation des concepts économique traditionnels :
Le Mouridisme Économique dans l’essence de ce qui la définit, ne légitime-t-elle pas une réappropriation conceptuelle de la notion d’utilité marginale ?
Un autre exemple, dans le chapitre alloué à l’École Classique, Dr Cheikh Ahmad Bamba Diagne nous a beaucoup parlé d’Adam Smith et de son fameux ouvrage « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations ».
Il nous fait savoir que dans la doctrine de Smith, à la question « qu’est ce qui fait qu’une nation ou un individu est plus ou moins riche ? », la réponse donnée est « sa capacité à produire ou à acquérir à travers l’échange ».
Et à celle qui demande « D’où vient cette capacité à produire ? », elle est répondue par « de la dépense en travail. »
En parallèle, dans cette vision économique du Mouridisme présentée par l’auteur, nous pouvons facilement comprendre que le travail physique (AL KASBOU) représente un pilier majeur de la théorie.
L’auteur lui a d’ailleurs consacré un chapitre entier de l’ouvrage.
Dans ce dernier, la première citation faisant office d’ouverture du chapitre à elle seule suffirait pour démontrer cette importance capitale accordée au travail dans la théorie économique du Mouridisme.
« Lama thia am louné, lama thia dajj la sant»
« Ce dont un profit est le prénom, l’effort en est le nom».
Il nous dit dans ce chapitre que « La vision économique de Cheikh Ahmadou Bamba est basée sur la recherche du travail licite d’abord et après tout.» Ce que Cheikh Ahmadou Bamba confirme lui-même de par ces propos :
WA BIL HALAALI KHALID SARA’I
Pérennise ma fortune et fais que je le gagne honnêtement. (Mawahibou)
Cette autre assertion très populaire de Cheikh Ibra Fall solidifie également cette hypothèse :
« Rouss naa gnaane lu ass gor di liguèy »
« Je ne mendierais jamais ce dont le travail pourrait m’apporter »
Si nous devions donc décrypter une légère similitude entre le travail de Smith et le Mouridisme Économique, nous pourrions dire qu’elle se trouve dans le fait que les deux théories octroient une importance capitale au travail physique et en font même, le pilier de leurs théories.
Leurs points de divergences à ce niveau seraient nombreux, mais on pourrait dire que les plus poignants seraient les définitions respectives données à la richesse et à sa finalité.
Si pour Adam Smith la richesse c’est l’
R=∑biens réels
Cheikh Ahmadou Bamba nous dit que non, la véritable richesse, c’est d’abord la science ( AL Hilm) et ensuite l’action fondée par cette dernière (AL Amal) :
R=H+A
WALTAHLAMANE BI ANAL HILMA WAL AMAL
HOUMÂ WASSILATA SAHADATI AJAL
Sache que la science et l’action (basée sur la science) constituent
ensemble le moyen pour atteindre le bonheur éternel.
(Mazalikoul jinan)
Beaucoup d’autres éléments descriptifs pouvant appuyer une analyse approfondie de l’œuvre visionnaire de l’auteur pourraient être aisément soulevés, ceci démontre la grande précision et l’objectivité impressionnante de son travail.
Dr Diagne nous invite dans la seconde partie de l’ouvrage, à découvrir la « voix » qui est derrière cette « voie » aussi impressionnante. Ill nous convie à la rencontre de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme.
Mais il nous promène également dans ce vaste jardin de vertus et valeurs humaines inouïes qui est la voie Mouride à travers son histoire, sa conception, son évolution, ses réalisations, ses capacités mais aussi ses défis.
En nous donnant brièvement quelques détails de l’itinéraire du Cheikh, il nous explique les raisons qui l’ont poussé à « concevoir » un projet de société dans lequel il implanta un système d’enseignement articulé autour de quatre piliers :
❖ L’éducation et la formation théorique (Al Amal)
❖ La recherche et la production de biens licites (Kasbou)
❖ La générosité à rendre service à la communauté (Khidma) ❖ La volonté créatrice (Himma)
Chacun de ces points faisant l’objet d’un chapitre intensément fournit en informations de qualité et faits marquants qui embarquent le lecteur dans un véritable voyage historique et spirituel.
À travers des récits historiques et points d’analyses rigoureux, le Dr Khadim Bamba Diagne à entamer un exercice de décortication et d’introspection passionnant visant à mettre sous lumière une vision certes économique mais aussi profondément sociale et humaniste d’un grand maître soufi africain qui a mené au cours du siècle dernier une lutte acharnée contre le racisme intellectuel et la subordination temporelle et pour la liberté économique.
Tout ceci pour dire que ce délice cérébral que nous offre le Pr Ahmed Bamba est d’une une portée universelle et détient une valeur inqualifiable non seulement pour les chercheurs Mourides ou Économistes, mais pour le tout âme désireux de connaitre une facette capitale de l’une des merveilles vivantes avec laquelle le Seigneur a voulu bénir l’humanité, le Mouridisme.
Maï Mbacké Djamil
Doctorente en Économie